Des dons multiples

A la fenêtre

Marie de la Trinité était une personne très douée. Nul doute qu’elle a beaucoup reçu de son milieu familial, aisé et croyant. Sur des photos d’époque, on la voit peindre dans la propriété familiale et jouer de la flûte à bec. Elle fit trois ans d’études de l’art du portrait. Elle avait le diplôme d’infirmière de la Croix-Rouge.

Plus rare pour une femme à cette époque, elle possédait le permis de conduire. Elle fit de l’orgue, du chant grégorien et du droit canonique. Elle connaissait l’anglais, l’allemand et l’italien. Elle apprit le grec du nouveau testament et l’hébreu biblique. Elle était diplômée de l’Association juive des hébraïsants de France. Elle composa un guide très commode pour la lecture de la Bible en un an. Son tirage atteindra 56.000 exemplaires. Ce guide sera traduit en espagnol et en portugais.

Son entrée dans la vie religieuse est marquée par une certaine ambivalence. Elle incline vers la vie contemplative mais finalement, sous la pression de son directeur spirituel, le père Jean-Marie Périer o.p., elle se décide pour la vie apostolique des Dominicaines missionnaires des campagnes. Entre mère Saint-Jean, la fondatrice, et sœur Marie de la Trinité, se noue une profonde et fidèle amitié fondée sur la grâce reçue le 11 août 1929, au cours de la retraite à Champagne-sur-Loue (diocèse de St-Claude).

En 1930, la fondation n’a pas encore été reconnue officiellement ni par l’Ordre dominicain, ni par l’évêque du lieu. Les sœurs ne portent pas l’habit religieux, il n’y a pas de Constitutions. Avant même son entrée dans la congrégation, Marie est associée par mère Saint-Jean à la rédaction des Constitutions et du Coutumier. Elle se plonge dans le droit canonique et les coutumes dominicaines avec l’aide du père Périer. Elle fait des traductions latines pour mère Saint-Jean.

Étant également douée d’un fort sens pratique, elle est mise à contribution dans bien des domaines, surtout à partir de septembre 1931 où la Congrégation quitte Champagne pour s’installer Aux Riceys, diocèse de Troyes : aménagement des lieux de vie, secrétaire et chauffeur de mère Saint-Jean, etc.

En 1932, le 3 septembre, elle fait profession et devient assistante générale de mère Saint-Jean. En 1933, elle est nommée maîtresse des novices. Elle s’acquitte de ces deux lourdes charges sans cesser de s’impliquer dans les détails de la vie courante et aussi dans l’écriture d’un grand nombre d’articles pour la revue interne des Dominicaines. Son activité est intense.

Menant à bien sur tous les fronts l’affermissement et l’accroissement de la fondation, Marie de la Trinité au bout de dix ans d’une activité inlassable soutenant celle de mère Saint-Jean, peut enfin prendre un peu de recul et se consacrer à la vie d’oraison. Il en sortira, sur une période d’environ trois ans, l’écriture de 35 carnets (3250 pages) relatant les lumières et expériences dont elle fut alors favorisée.

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Marie de la Trinité et Mère Saint Jean

L’épuisement physique et psychique aura raison de sa santé et pendant dix ans elle suivra divers traitements ce qui ne l’empêchera pas, dans le même temps, de poursuivre des études de grec, d’hébreu, de catéchèse ; de rencontrer diverses personnalités du monde religieux ou intellectuel, et de participer à la vie de sa congrégation : révision des Constitutions dans les années 1953-1954, participation à la revue « Notre Vie » par des articles de fond.

Sa rencontre avec Lacan sera une expérience forte pour l’un comme pour l’autre. Les propos que Lacan a consacrés aux mystiques sont plus inspirés par sa rencontre avec Marie de la Trinité que par la lecture d’ouvrages savants.

L’expérience de la cure analytique lui montre que la vie religieuse a besoin, dans ses moments de crise, du recours à la psychologie. Elle entreprend alors une formation de psychothérapeute où elle se montre avisée et compétente. Elle fait quelques interventions remarquées, notamment au congrès international de psychologie appliquée de Rome, en 1958, où elle intervint avec une communication sur « le réveil des tendances ».

Pourtant, lorsque la vieille mère Saint-Jean la rappelle à Flavigny, Marie de la Trinité abandonne son projet initial pour se consacrer au travail de mémorialiste de la Congrégation sous la conduite de la fondatrice.

Dans ses dernières années, Marie de la Trinité revient à ses précieux carnets. L’encre a pâli. Elle se lance alors dans le colossal travail d’en garder une copie dactylographiée sans aucune assurance sur ce qu’il en adviendra après elle.